Le danseur, ange des champs de bataille

• L'ange des champs de bataille

Dès que j'entame légèrement les premiers pas, et que je laisse le rythme prendre possession de mon corps, je sens mon sang bouillir. Je l'entends battre en cadence. Et lorsque je tourne, c'est tout mon être qui est en effervescence. A ce moment-là, je sais que c'est gagné. Mon coeur et mon corps ne font plus qu'un... ah, pas seulement ça. Mes compagnons, le public, ils font tous partie de moi. Nous sommes en totale harmonie.

[Conversations avec la danseuse Laila Brilioth, an 884, Jeuno]

Au plus fort de la Guerre de Cristal, les danseurs ont connu une grande popularité dans les armées des forces alliées d'Altana. Ces courageux jeunes gens ne se contentaient pas seulement d'apaiser les douleurs et les craintes des soldats du front, mais se battaient également à leurs côtés aux premières lignes des champs de bataille.
Vêtus d'habits splendides, se riant des pluies de flèches, les danseurs étaient souvent comparés à des dieux guerriers par les soldats alliés, à qui ils portaient courage. Leurs ennemis, au contraire, voyaient dans ces étranges guerriers aux techniques suspectes des messagers de mort, et les craignaient.
Parlons un peu de la mystérieuse danse martiale "Kriegstanz".

• La tentation de la Totentanz

Dansez avec les morts !
Tournoyez !
Les pauvres, les riches et les sages,
Vos os se dessècheront tous sans exceptions !
Les réjouissances ne dureront que l'espace de cette nuit !

Virevoltez avec les morts !
Chantez !
Les vieilles femmes, les jeunes filles et les belles,
Vos crânes seront tous semblables dans l'au-delà !
Les réjouissances ne dureront que l'espace de cette nuit !

[Extrait d'un ancien poème bastokien "La sarabande des morts"]

Ce passage de "la sarabande des morts" était particulièrement en vogue à l'époque où la "Foudroyante", une terrible maladie contagieuse et mortelle, frappait la République de Bastok. Alors que le nombre des victimes allait croissant, les rumeurs sans fondements et les pensées nihilistes se propageaient au même rythme. La mode parmi les citoyens était de se rassembler dans les rues et de défiler au rythme d'une danse macabre, la Totentanz, avec des squelettes animés par magie, tout en chantant ce poème.
Le gouvernement, trop occupé à isoler les malades, fermait les yeux sur ces bruyantes démonstrations journalières. Il fallut que les soldats commencent à abandonner leur poste dans leur exaltation pour qu'il s'aperçoive de la gravité des évènements. Le pouvoir proclama, trop tard, un décret d'interdiction. Les démonstrations se transformaient en émeutes, et le président Wilhelm finit par déclarer l'état d'urgence et envoya un escadron des troupes républicaines, principalement formé de Galkas, pour restaurer le calme. La situation devint explosive.
Seul un heureux hasard permit de mettre fin à l'agitation. Des danseuses, issues d'une région reculée de Gustaberg, étaient venues porter des herbes médicinales à la capitale. Sans reculer devant le danger que représentaient ces foules en délires, elles dansèrent dans les rues et les casernes la Kriegstanz, une chorégraphie traditionnelle mêlant des techniques de combat à la danse. Le mélange de rythmes guerriers faisant battre le sang et de danses lascives pleines de vie fascina le peuple immédiatement. Les danses macabres furent alors rapidement abandonnées. Quelques années plus tard, lorsque le président annonça que la Foudroyante était vaincue, il fit l'éloge de ces courageuses jeunes filles : "Les alchimistes ont trouvé le moyen de vaincre la maladie, mais ce sont les danseuses qui ont rendu ça possible en exorcisant le néant qui s'était installé dans le coeur des hommes."
Le succès de la Kriegstanz dura un temps, mais la difficulté et la rigueur de l'entraînement étaient telles qu'il devint difficile de trouver des élèves. Il fallut attendre que Bastok soit à nouveau en danger, au moment de la Guerre de Cristal, pour qu'elle redevinsse la principale danse du pays.

• Evolution de la Kriegstanz

Les techniques de danse et celles du combat se ressemblent. Les mouvements de danse du plus haut niveau sont aussi précis et subtils que ceux d'un duel, Les mouvements d'un combattant aguerri sont aussi beaux et élégants que ceux d'un danseur. Il y a cependant une différence fondamentale : la beauté des techniques de combat est la conséquence de ces dernières, celle des techniques de danse en est le but. La Kriegstanz est une technique de combat qui a pour but la beauté.

[Extrait du livre "Les pas de la danse martiale" d'Annika Brilioth]

Au début de la Guerre de Cristal, des pas de danse de différentes parties du monde, comme la Schwerttanz (danse de l'épée), ou la Gauklertanz (danse de la magie), étaient venus s'ajouter à ceux de la Kriegstanz traditionnelle. Les danseurs ne se contentaient plus d'améliorer le moral de leurs compagnons. Ils parvenaient à se mettre en transe pour obtenir des pouvoirs surnaturels, et influençaient leurs ennemis pour les affaiblir.
La danse martiale réunissait désormais des mouvements aussi variés que puissants. Au fur et à mesure que la guerre s'aggravait, le nombre de jeunes gens aspirant à apprendre la danse sous la tutelle d'Annika Brilioth, la descendante directe des premières danseuses de la Kriegstanz, alla grandissant. Cette dernière n'acceptait cependant que les plus talentueux, sans se soucier de leurs origines ou de leur fortune.


Une volonté, nourrie d'une passion inépuisable, de devenir un artiste du plus haut niveau, ainsi qu'un combattant d'un talent non moins élevé. Un courage inébranlable, celui d'être sur scène comme sur le front sans hésiter. Seuls ceux qui réuniront ces qualités seront dignes de consacrer leur vie à la danse, de devenir danseur.